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Quand le croque-mort était aussi ambulancier

Un Cadillac corbillard.

Ce Cadillac de 1967 servait à la fois de corbillard et d'ambulance.

Photo : Radio-Canada / Olivia Laperriere-Roy

Vous êtes victime d’un accident de la route. Vous avez un malaise et devez être transporté d’urgence à l’hôpital. Accepteriez-vous d’être glissé à bord d’un véhicule qui sert aussi à transporter les défunts vers le cimetière? Il fut un temps au Québec où le corbillard et l’ambulance avaient le double emploi tout comme le personnel des maisons funéraires. Dans un contexte de pénurie d'ambulances et de main-d'œuvre serait-il souhaitable de revenir à cette pratique d'antan?

Deux entrepreneurs de l’Estrie se souviennent de cette époque où, au cours d’une même journée, un employé pouvait conduire un blessé de la route et le corps d’un défunt dans un cercueil.

Steve Elkas, propriétaire de la maison funéraire du même nom, a fait ses débuts dans la profession dans les années 1960. C’était, si on peut dire, l'âge d'or des maisons funéraires à Sherbrooke. Il y en avait huit, se rappelle l'entrepreneur, alors qu’il n’en reste que deux aujourd'hui.

Steve Elkas.

Steve Elkas a fait du transport ambulancier lorsqu'il a commencé dans la profession.

Photo : Radio-Canada / ANDRÉ VUILLEMIN

C'était toujours le salon funéraire [qui assurait le service ambulancier], explique-t-il. [Le propriétaire du salon] essayait de trouver de l'ouvrage pour ses employés lorsqu’il n’y avait pas de funérailles. Il fallait qu’ils fassent autre chose. Ils s'occupaient de faire des terrasses. Ils s'occupaient de laver des vitres. Et bien sûr de transporter des personnes blessées ou des malades jusqu’à l’hôpital.

Son confrère François Gamache, de la Maison Gamache et Nadeau, à Thetford Mines, souligne que c’est en tant qu’ambulancier que son défunt père, Jean-Claude, a débuté dans la profession. Il a commencé dans ce domaine-là justement pour répondre aux appels d'urgence. Et puis, tranquillement, son employeur l'a amené aux choses funéraires et il a suivi son cours d'embaumeur.

C'était un service que les maisons funéraires offraient parce qu'il y avait un vide. Le seul qui avait un véhicule assez long dans le village pour contenir une civière, c'était le l'entrepreneur funéraire.

Une citation de François Gamache, Maison Gamache et Nadeau

Des véhicules qui font tourner les têtes

Féru de l’histoire funéraire au Québec, François Gamache possède une impressionnante collection de véhicules qui témoignent de cette époque révolue, dont un corbillard-ambulance de 1968. Au total, il en a sept, dont quatre ambulances.

Un homme au volant d'un corbillard.

François Gamache au volant de son corbillard-ambulance de 1968.

Photo : Radio-Canada / Olivia Laperriere-Roy

Il a eu la piqûre lorsqu'il s’est rendu, par un beau dimanche, avec son corbillard-ambulance à une exposition de véhicules anciens à Pierreville au début des années 1990. Ça a fait tourner les regards, se souvient-il. C'était vraiment impressionnant de voir la quantité de gens qui venaient me poser des questions. Ça a créé une étincelle en moi.

Difficile, en effet, de passer inaperçu avec une telle voiture. L’une d’elles, avec ses formes allongées, son rouge vif et sa sirène cylindrique, rappelle la rutilante Ecto-1 du film Ghostbusters. François Gamache, qui est arrivé après quelques essais à faire vrombir le puissant moteur 468 pour conduire l’ambulance jusqu’à notre lieu de rendez-vous, détonne vraiment lorsqu’il circule dans les rues de Thetford Mines.

Deux anciennes ambulances.

Ces deux ambulances font partie de la collection de François Gamache. Elles ont été fabriquées en Ohio, aux États-Unis.

Photo : Radio-Canada / Olivia Laperriere-Roy

Ils ont beaucoup de style, souligne-t-il. Ça aurait pu être juste une simple boîte de fibre de verre mise sur le dessus. Mais il y avait trois grosses compagnies en Ohio, aux États-Unis, qui se spécialisaient dans la fabrication de ce genre de véhicules et elles se compétitionnaient vraiment. C'était celui qui aurait le design le plus percutant.

Une rudimentaire formation de secouriste

Les corbillards-ambulances n’avaient pas tous une allure flamboyante. Certains étaient de conception plus rudimentaire, indique Steve Elkas. Pour économiser, des maisons funéraires convertissaient des station-wagons. Ça coûtait moins cher qu'acheter un Cadillac!

Intérieur d'un corbillard-ambulance.

L'intérieur du véhicule s'adapte pour un cercueil ou une civière avec des sièges rétractables pour asseoir un ambulancier près du patient.

Photo : Radio-Canada / Olivia Laperriere-Roy

On était loin aussi des services ambulanciers professionnels d'aujourd'hui. Sans dire que c’était comme rouler à tombeau ouvert, les répondants n’avaient ni la formation ni l’équipement requis pour assurer un transport des plus sécuritaires, mentionne Steve Elkas. On faisait avec ce qu'on avait. Il y avait une petite bombonne d'oxygène et une petite trousse de premiers soins. Ça s'arrêtait là. Dans ces années-là, [on] n'avait aucune notion de premiers soins.

Je me rappelle que le soir, si on avait un voyage d'ambulance, notre employeur nous donnait 2 $.

Une citation de Steve Elkas, Résidences funéraires Steve L. Elkas

Steve Elkas avoue toutefois qu’il préférait de loin s’occuper des familles endeuillées. D’autres collègues, cependant, aimaient bien l’adrénaline que procurait un appel d’urgence. Il y avait des jeunes qui aimaient ça embarquer dans l'ambulance, puis monter la rue King avec la sirène, se rappelle-t-il.

Il gardait le véhicule, prêt en ambulance, dans le garage pour répondre aux urgences. Puis, une demi-heure avant la funéraille, ils enlevaient les gyrophares.

Une citation de François Gamache, Maison Gamache et Nadeau

C’est en 1975 que l’utilisation des véhicules à double fonction a cessé, précise François Gamache. C'est à ce moment-là qu'il y a eu une législation pour que les ambulances soient des camionnettes équipées. Mais avant, toutes les entreprises funéraires qui offraient le service avaient le droit d'utiliser le même véhicule avec une légère conversion et un peu d'équipement.

Un corbillard.

Les entrepreneurs funéraires devaient composer avec des horaires très chargés lorsqu'ils offraient le service ambulancier.

Photo : Radio-Canada / Olivia Laperriere-Roy

Une double pratique qui perdure en France

Si c’était la pratique acceptée à l’époque, on verrait mal aujourd’hui un retour en arrière, estime Steve Elkas. Ça ne serait pas intéressant, juge-t-il. C'est dispendieux, un permis d'ambulance. Il faut l'opérer, avoir des employés, payer des salaires justifiés.

En France, la pratique a toujours cours. Nombreuses sont les entreprises qui font à la fois dans le funéraire et dans le transport sanitaire. Claude Delesse, qui vit à Toulon, dans le sud du pays, exploite une entreprise familiale qu’il a créée il y a 45 ans. Aujourd’hui, menée par son fils, la compagnie compte des magasins et des chambres funéraires, un crématorium et 150 véhicules : des corbillards tout comme des véhicules de transport sanitaire.

Un crucifix dans la vitre latérale d'un corbillard.

Le crucifix ou la croix rouge étaient installés selon les circonstances dans les vitres latérales du véhicule.

Photo : Radio-Canada / Olivia Laperriere-Roy

Le funéraire et l’ambulancier sont complètement distincts. Chaque secteur d’activités est soumis à des réglementations qui lui sont propres. Toutefois, l’un est beaucoup plus lucratif que l’autre. Comme explique Claude Delesse, le volet funéraire demeure le plus lucratif. En France, le service ambulancier va facturer 100 euros pour transporter un patient du village à l’hôpital. Le lendemain, si le patient décède, le transporteur funéraire retourne dans le village et va le mener au cimetière. Pour la même distance, il va facturer 400 euros.

L'homme d'affaires français ajoute que des entreprises ambulancières ont développé le volet funéraire pour s’assurer des revenus plus importants. Étant mal payés par l'assurance maladie, certains ont trouvé une ouverture pour faire des transports beaucoup plus rentables.

Gyrophares d'un corbillard.

Lorsque le véhicule était utilisé pour des funérailles, il suffisait de retirer les gyrophares et la sirène.

Photo : Radio-Canada / Olivia Laperriere-Roy

Les deux entrepreneurs estriens, Steve Elkas et François Gamache, croient qu’il faut laisser au passé la double pratique toujours effective en France. M. Gamache juge cependant important de maintenir bien vivante la mémoire de cette période antérieure.

Il compte d’ailleurs éventuellement ouvrir au grand public sa collection de véhicules anciens, mais aussi une exposition permanente sur l’histoire de l’industrie funéraire au Québec qu’il a spécialement assemblée dans un ancien salon mortuaire du centre-ville de Thetford Mines. Ça fera un beau jumelage avec notre église paroissiale qui présente la plus grande exposition de patrimoine religieux au Québec, conclut François Gamache avant d'aller remiser soigneusement ses véhicules de collection.

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