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Michel Bonneau souriant, lors du tournage d'un reportage sur des activités à son CHSLD.

Le nuage d’Apple provoque une tempête

Les dernières volontés de Michel Bonneau étaient claires : il autorisait sa sœur, à son décès, à accéder à ses données numériques. Toutefois, celle-ci s’est butée à l’intransigeance d’Apple. S’en est suivi un bras de fer, mais la multinationale est restée campée sur ses positions. Avis : faire une sauvegarde peut changer la vie, même après la mort.

Josée Bonneau regarde, émue, un reportage télé où on voit son frère, Michel, dans son CHSLD, diminué par la maladie. Sa ténacité force l’admiration. Sa gentillesse aussi.

Michel était très très apprécié au centre, il connaissait tout le monde et prenait le temps de s'arrêter, de parler.

Une citation de Josée Bonneau

Le 5 juillet dernier, Michel Bonneau a reçu l’aide médicale à mourir. Avant son décès, il avait refait son testament dans lequel il désignait sa sœur comme liquidatrice de sa succession.

Au moment d’organiser ses funérailles, elle veut consulter ses contacts sur son iPhone.

Le conjoint de celle-ci, Guy Marcil, lui donne un coup de main, mais il commet une erreur lourde de conséquences en le manipulant. J'ai voulu l'ouvrir puis, par mégarde, ou je pensais me souvenir du mot de passe, j'ai gelé l'appareil, explique-t-il.

M. Marcil demande alors à l’entreprise de l'aider à le déverrouiller afin d’obtenir l’accès aux données du téléphone et à l’iCloud de son beau-frère. L’iCloud, c’est le nuage d’Apple où sont conservées photos, vidéos, messages, etc. des utilisateurs.

Mais la multinationale américaine lui en refuse l’accès, à moins qu’il n’obtienne une ordonnance du tribunal.

Pourtant, dans son testament, Michel Bonneau a donné l’autorisation à sa sœur d’accéder à toutes ses données.

Josée Bonneau s’insurge : Ça a été signé par un notaire. C'est un homme de loi et il était accompagné aussi d'un avocat qui a agi comme témoin. [...] Pourquoi demander un ordre de la cour?

Son conjoint dénonce lui aussi cette exigence coûteuse qui va, en plus, encombrer les tribunaux d’une façon inutile, estime-t-il. La seule chose qu'ils pouvaient faire avec les documents qu'on avait, c'était d'effacer l'ensemble des données dans l’iCloud, déplore M. Marcil.

Les compagnies de communication, Épargne Québec, nommez-les, les banques respectent les décisions testamentaires. Les seuls [...] qui se permettent de contester un testament, dans ce cas-ci, c'est Apple.

Une citation de Guy Marcil
Josée Bonneau et son époux Guy Marcil.

Josée Bonneau et son époux Guy Marcil.

Photo : Radio-Canada / Jérôme Lafon caméraman

Depuis 2021, les utilisateurs d’Apple peuvent désigner un contact légataire en cas de décès* (Nouvelle fenêtre). Cette nouvelle fonctionnalité, d’après l’entreprise, est la façon la plus facile et la plus sécuritaire de permettre à une personne de confiance d’accéder aux données stockées (Nouvelle fenêtre) dans le compte Apple après un décès.

L’expert en informatique nuagique, Cyril Paciullo, trouve que c'est une bonne chose, mais il a des réserves. A ses yeux, il ne faut pas compter sur la multinationale pour autoriser un accès complet à nos données à notre décès.

Rien ne les empêche (...) de modifier le système, d'amender le système, de limiter l'accès aux données. Donc, vous continuez de laisser l'accès à vos données à Apple (...). Les données ne sont pas chez vous, les données sont chez eux, donc ils peuvent à tout moment changer la définition d'un contact légataire.

Cyril Paciullo propose plutôt un bon vieux truc qui est particulièrement simple:  faire une copie de sauvegarde une ou deux fois par année sur un disque dur externe ou une clé USB qu’on conserve dans un tiroir.

Cette opération ne prend que quelques minutes et permet, d’après lui, un accès facile à nos données.

Quand on parle d'infonuagique, précise-t-il, ce n’est pas sur un nuage, c'est sur des disques chez Apple. Donc, la technologie est exactement la même [que le disque qu’on a chez soi].

À son avis, conserver ses données dans son propre disque dur permet d’éviter une bataille comme celle vécue par le couple. Et c’est plus sûr que l’infonuagique, affirme-t-il.

Il arrive de temps à autre que les gens perdent accès à leurs fichiers, tout simplement à cause d'un bris matériel chez Apple, affirme-t-il.

Autre suggestion de cet expert : utiliser un gestionnaire de mots de passe. On a alors un seul mot de passe qui donne accès à tous les autres. [C’est] beaucoup plus simple pour ceux qui vont s'occuper de votre testament qu'avoir une quantité de mots de passe différents, fait-il valoir.

Il faut évidemment les mettre à jour régulièrement.

Bertrand Salvas est notaire et coordonnateur à la maîtrise en droit notarial à l'Université de Sherbrooke.

Bertrand Salvas est notaire et coordonnateur à la maîtrise en droit notarial à l'Université de Sherbrooke.

Photo : Radio-Canada / Martin Brunette caméraman

D’autres précautions sont aussi appropriées.

Le notaire Bertrand Salvas, coordonnateur à la maîtrise en droit notarial à l'Université de Sherbrooke, est un pionnier dans le domaine du droit des technologies de l’information.

Il suggère de faire une simulation de décès et de dresser un inventaire de nos biens numériques, avec cette question en tête : [Aller] voir chacun des sites ou des services avec qui je fais affaire, puis de dire : si je décédais, qu'est-ce qui se passerait avec mon compte courriel à tel endroit ou mon compte de nuage que j'ai à tel endroit en vertu [...] des conditions d'utilisation?

Ensuite, déterminer ce que l’on veut qu’il advienne de nos biens numériques après notre décès.

Chien de garde des données

Le notaire qui a rédigé le testament du défunt François Sylvestre est-il étonné de la décision d’Apple? Étonné? Non. Déçu? Oui. [...] Ça me déçoit parce que c'est comme : "Je suis gros et j'ai pas besoin de me soucier ou de me préoccuper de vos lois, vous autres, ou de vos façons de faire. Je le fais à ma façon", se désole-t-il.

D’autant plus que son travail est irréprochable.

Nous avons montré la clause du testament concernant les données numériques à Me Salvas. Il travaille depuis des années à sensibiliser les notaires à cette question.

Son opinion au sujet de cette clause : Quand je l'ai regardée, c'était vraiment, elle était excellente, c'est une des bonnes que j'ai vues [...]. On ne pouvait pas faire plus que ça.

Malgré cette clause, Apple continue de garder jalousement les données du défunt.

L’entreprise ne badine pas avec les données confidentielles de ses utilisateurs. La multinationale a même tenu tête au FBI en 2016 et s’est opposée à lui donner accès au contenu de l’iPhone de l’auteur d’un attentat terroriste à San Bernardino, en Californie.

La bataille judiciaire a pris fin quand le FBI a embauché des pirates informatiques pour accéder aux données du téléphone.

Ça vous montre jusqu'où ils sont prêts à aller pour défendre ce droit-là qu'ils ont d'être, entre guillemets, les gardiens de la barrière pour leurs usagers, souligne Bertrand Salvas.

Le géant persiste et signe

Le couple a demandé à Apple de réviser son dossier. Mais l’entreprise maintient qu’une ordonnance du tribunal s’impose car, selon un représentant, Apple ne peut pas contourner une loi [américaine] considérant que les données en question sont stockées aux États-Unis.

Aux yeux de Guy Marcil, le fait que la compagnie se réfère à une loi américaine, c'est inconcevable.

On est Canadiens, on n'est pas Américains, s'insurge-t-il.

L’entreprise a écrit à La facture qu’elle se conforme à la Loi québécoise sur les renseignements personnels dans le secteur privé. Par conséquent, un certificat de décès et un testament notarié suffisent pour demander un accès à l’appareil.

Mais cela signifie que l’iPhone sera restauré, donc que toutes les données dans le téléphone seront effacées.

Quant à l’accès au nuage, Apple exige toujours une ordonnance d’un tribunal stipulant que Josée Bonneau est l’héritière légitime de l’information.

Cyril Paciullo est un jeune expert en technologie infonuagique.

L’expert en informatique nuagique Cyril Paciullo.

Photo : Radio-Canada / Martin Brunette caméraman

L’expert en informatique nuagique Cyril Paciullo voit dans tout cela le signe qu’Apple connaît mal la réalité canadienne.

Apple devrait avoir ici davantage que des points de vente, estime-t-il. Il lui faudrait un bureau à Montréal, d’après lui, où on connaît les lois locales. Ce qui manque beaucoup aux grandes compagnies multinationales d'infonuagique, c'est des équipes locales dans chaque pays dans lequel elles opèrent pour pouvoir traiter ces demandes, juge-t-il.

Josée Bonneau, elle, ne comprend toujours pas cet entêtement. Ça me trouble, parce que j'ai l'impression qu'ils doivent avoir plein d'équipes d'avocats puis de monde qui réfléchissent, qui travaillent et qui auraient pu réaliser quel impact ça avait sur nous.

Pour faire honneur à son frère combatif, elle affronte le géant. Mais il reste intraitable.

Modification :

Ce texte a été modifié afin de faire état de la possibilité, offerte depuis 2021 par Apple, d'ajouter un contact légataire en cas de décès dans les paramètres de son téléphone.

Le reportage de la journaliste Esther Normand et la réalisatrice France Larocque a été diffusé mardi à l’émission La facture. Il sera rediffusé vendredi à 11 h et samedi à 12 h 30 sur les onde d'ICI Télé.

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