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De la réduflation dans les marques maison

Les grands détaillants réduisent à leur tour leurs formats pour diminuer leurs coûts de production en période de forte inflation alimentaire.

Une illustration de rayons d'épicerie.

Des cas de réduflation s’observent aussi dans les produits de marques maison des grands détaillants.

Photo : Radio-Canada / Josselin Pfeuffer

La réduflation n'épargne pas les marques maison, prisées des consommateurs pour économiser. Déjà sous les feux des projecteurs pour leurs profits records, les grands détaillants alimentaires canadiens réduisent à leur tour les formats de leurs nouveaux produits.

Depuis janvier, nous avons repéré une dizaine de produits identifiés avec l’étiquette nouveau sur le site Internet Le choix du Président, la marque privée appartenant à Loblaw et vendue notamment chez Provigo et Maxi.

Ces nouveautés sur les tablettes virtuelles côtoyaient pourtant des produits en apparence identiques, à l’exception d’un changement important : leur poids avait diminué.

L'ensemble de la gamme de gruau instantané a perdu deux sachets par boîte. Le mélange à chocolat chaud a 50 grammes en moins et des emballages de fruits surgelés, de biscuits et de barres tendres, notamment, ont subi une cure minceur. Selon nos observations, ces nouveaux produits étaient vendus en épicerie au même prix, voire plus cher.

Il y a quelque chose qui ne tient pas la route, dénonce le professeur Jordan LeBel, spécialisé en marketing alimentaire. Il n’y a rien de mal à faire du profit, mais pas lorsque ça vient sur le dos du consommateur, qu’on lui en vend moins ou de moins bonne qualité.

C’est là que, dans l’intérêt public, le gouvernement doit s’en mêler, soutient l’expert.

Cet automne, le ministre fédéral de l’Industrie, François-Philippe Champagne, avait d’ailleurs critiqué les profits records dans le secteur de l'épicerie de détail et pressé les détaillants à stabiliser leurs prix et à offrir des rabais aux consommateurs.

Malgré tout, Loblaw a engrangé des profits de 14,5 milliards de dollars au quatrième trimestre de 2023, avec des ventes en hausse de 2 % dans ses épiceries. Pour la totalité de l'année, ses profits s'élèvent donc à 59,5 milliards (+3,9 % en épicerie).

Lors de la présentation des résultats financiers, le chef de la direction de Loblaw, Per Bank, a d’ailleurs souligné que les consommateurs avaient acheté davantage de produits portant des marques maison. Ils l’ont peut-être fait sans savoir que les détaillants avaient les mêmes pratiques commerciales que d’autres fabricants alimentaires.

Interrogé à ce sujet, Loblaw a affirmé que toutes les entreprises sont confrontées à de fortes pressions au niveau de leurs coûts de la part des fournisseurs. Il devient difficile de trouver un équilibre entre cette pression et le maintien de bas prix, soutient la directrice principale, Affaires corporatives et communications, Johanne Héroux.

Le développement de différents formats et tailles d'emballage nous aide à offrir de la valeur tout en maintenant les prix d'achat aussi abordables que possible.

Une citation de Johanne Héroux, Les Compagnies Loblaw limitée

Selon elle, les produits des marques privées continuent d'offrir davantage de valeur aux consommateurs, avec des produits de qualité à meilleurs prix.

Gros plan sur les marques maison

Le choix du Président, Sans nom, Compliments, Sélection, Great Value… les marques des grands détaillants se sont taillé une place de choix en épicerie. Elles ont été créées par Loblaw, Sobeys, Metro et Walmart, notamment, dans une volonté d’offrir à leurs clients des produits similaires aux marques nationales, mais à meilleur prix.

Comment? En évitant les frais de tablette exigés des fabricants des marques nationales pour avoir leur place sur les étalages des épiceries, et les frais de référencement (listing). Les détaillants font même des économies sur la promotion et l'emballage, au design souvent minimaliste.

Toutefois, les marques maison n’échappent pas non plus aux hausses de coût des ingrédients, du transport et de la main-d'œuvre. Elles doivent non seulement demeurer compétitives par rapport à leurs concurrents, mais aussi conserver leurs marges de profits, qui seraient déjà jusqu’à deux fois plus élevées sur leurs produits.

Tous les experts le répètent : même si les consommateurs s’offusquent de la réduflation, c’est le prix qui compte d’abord et avant tout à leurs yeux.

Ils choisiront le format le moins cher avant le plus gros, surtout si son prix a dû grimper pour conserver sa taille d’origine, suggère l’économiste et agronome Pascal Thériault.

Le consommateur est noble de cœur, mais cheap de portefeuille.

Une citation de Pascal Thériault, Université McGill

Aidez-nous à mesurer l’ampleur de la réduflation

Ironie du sort, les marques maison des grands détaillants sont fabriquées par les mêmes entreprises qui produisent les marques nationales, à qui elles font pourtant concurrence.

C’est préférable pour elles de le faire, plutôt que laisser quelqu’un d’autre le faire, rappelle Pascal Thériault, ajoutant que les transformateurs ne sont pas si nombreux ici.

Les entreprises qui fabriquent les marques maison, c'est dans la routine, avec des recettes connues et des formulations légèrement adaptées : un peu moins de ci et de ça, explique Jordan LeBel. Elles le font souvent pour occuper leur chaîne de production avec un volume de produits additionnels à sortir de l’usine.

Emportées par la vague?

La réduflation a souvent un effet domino, soulignent les experts : quand une entreprise réduit un format, ses concurrents lui emboîtent le pas. Parmi les dernières à le faire, les marques maison ne se défilent pas pour autant.

Quand la plupart des emballages de bacon de marques nationales sont passés de 500 g à 375 g au tournant de 2014, les paquets Compliments, Great Value et Sélection ont suivi pour continuer à offrir un produit de qualité à prix concurrentiel, indique une porte-parole de Metro.

Idem dans les rayons des jus d’orange et des barres tendres.

Des boîtes de barres tendres, des bouteilles de jus et des emballages de bacon.

Ces produits de marques maison, ou privées, ont changé de format ou ont été lancés avec la quantité ou le poids qui sont désormais associés à la référence dans leur catégorie.

Photo : Radio-Canada

Le magazine Protégez-vous avait remarqué, en 2022, que la majorité des marques maison avait gardé au moins six barres dans leurs boîtes, alors que les marques nationales venaient d’en retirer une. Ce n’est plus le cas aujourd’hui chez bon nombre d’entre elles. Plusieurs marques privées qui avaient maintenu le format de 1,75 l de jus d’orange ont elles aussi adopté le contenant de 1,5 litre de leurs concurrents.

Maintenant, le format de 375 g de bacon, les boîtes de 5 barres tendres et la bouteille de jus d'orange de 1,5 l font office de référence dans cette catégorie de produits chez la majorité des fabricants.

Parmi d’autres exemples : des paquets de fromage râpé qui se conforment au format de 320 g du marché ou encore des pots de margarine de 850 g, de crème glacée de 1,5 l ou de sauce tomate de 650 ml.

Même les chaînes qui se targuent d’offrir les meilleurs prix, comme Walmart et Costco, succombent aussi parfois à la réduflation.

Le cas du papier de toilette Kirkland

Nous avons par exemple reçu des dizaines de courriels et soumissions quand le papier hygiénique de la marque Kirkland, vendu chez Costco, est passé de 425 à 380 feuilles par rouleau l’an dernier.

Un exemple des affiches utilisées par Costco.

Des affiches expliquant le changement de format du papier hygiénique de marque Kirkland accompagnaient les étalages du produit dans les entrepôts Costco.

Photo : Radio-Canada

Costco estime plutôt qu’il s’agit d’un produit amélioré, avec des feuilles 17 % plus épaisses. C’est un nouveau produit, avec de nouvelles spécifications, assure son porte-parole, Martin Groleau. On estime que l’utilisation va être de moins de feuilles grâce à cette amélioration.

Il précise d’ailleurs que le poids total du produit a augmenté et que les 45 feuilles ont plutôt été retirées pour conserver le même diamètre de rouleau. Il coûte aussi plus cher à produire à Costco, précise le porte-parole, mais le prix au détail n’aurait pas augmenté pour autant.

On est blessés que les gens pensent qu’on fait de la réduflation. Notre mandat, c’est d’améliorer la qualité du produit, pas de réduire les quantités pour facturer le même montant aux clients.

Une citation de Martin Groleau, Costco

Avec la réduflation, toutefois, tout se joue habituellement dans la transparence. La pratique n’est ni surveillée ni réglementée et autant les manufacturiers que les détaillants sont libres de faire comme ils l’entendent.

Costco assure toutefois qu’au moment du changement, des affiches l'ont indiqué aux clients dans ses entrepôts. L’information aurait aussi été communiquée sur les réseaux sociaux.

De nouveaux produits plus petits

Il arrive parfois qu'un produit quitte les tablettes pour revenir sous un nouvel emballage. S'agit-il quand même d’un cas de réduflation?

Huit boîtes de biscuits.

Ces produits de la marque Irrésistibles vendus notamment chez Metro et Super C ont changé d’apparence, de nom et de format.

Photo : Radio-Canada

Quatre produits Irrésistibles de Metro ont, par exemple, changé de nom et d’emballage. Son biscuit aux morceaux de chocolat noir est devenu l’intense choco noir, celui aux pépites de chocolat, l’avalanche de pépites de chocolat et le moelleux brownies au chocolat, un brownie total chocolat, tout comme le biscuit tuxedo maintenant le tuxedo brownie.

Les quatre emballages sont aussi passés de 300 g à 280 g et sont vendus au même prix ou plus cher.

On va appeler ça "nouveau". Ça attire l’attention du client, assure Jordan LeBel. Ça marche, mais est-ce que c’est effectivement nouveau? Peut-être qu’on a changé la nomenclature du chocolat, d’une qualité différente. Peut-être qu’on a ajusté la recette.

J’ai l’impression que c’est une stratégie qu’on va voir de plus en plus. On a changé quelque chose d’anodin, le look, pour partir à neuf et faire oublier aux consommateurs quel était l’ancien produit.

Une citation de Jordan LeBel, Université Concordia

Pour des raisons concurrentielles, Metro n’a pas voulu commenter les changements pour chacun des produits de façon individuelle.

Lorsque nous réduisons le format d’un de nos produits de marque privée, c’est toujours pour des considérations commerciales, la plupart du temps pour suivre le marché, explique toutefois sa cheffe des communications, Catherine Latendresse.

Les marques privées, par définition, offrent des prix compétitifs. Si les marques nationales réduisent leur prix, peu importe la raison, les marques privées vont vouloir s’adapter pour demeurer compétitives.

Une citation de Catherine Latendresse, cheffe des communications, Metro

Empire, qui détient les magasins IGA et la marque Compliments, n’a pas pour sa part répondu à nos questions. Comme Loblaw, les deux détaillants canadiens ont aussi annoncé des profits de plusieurs millions de dollars pour leur plus récent trimestre.

À venir :

On a enquêté sur la réduflation pendant un an. Découvrez la semaine prochaine la conclusion de notre dossier.

Et qu’en est-il de la qualité?

Une attention plus grande accordée aux listes d’ingrédients et aux tableaux de la valeur nutritive des nouveaux produits au format réduit Le choix du Président nous a aussi permis de remarquer certains changements dans les recettes. Pour le meilleur ou pour le pire?

La nutritionniste Stéphanie Côté note, par exemple, que le sucre est passé du premier au deuxième rang des ingrédients derrière l’avoine dans les barres tendres aux brisures de chocolat, mais aussi derrière le lait écrémé en poudre dans la meringue.

C'est une amélioration qui se répercute, un peu, sur la valeur nutritive, mais elle ignore si ces changements sont bons sur le plan gustatif.

Les colorants naturels de curcuma et d’annatto ont disparu du mélange à chocolat chaud, dont la portion individuelle a aussi été revue à la hausse, de 28 g à 38 g. Non seulement le contenant contient moins de poudre, mais il en faut maintenant davantage pour obtenir une portion. Alors que l’ancien format comptait jusqu’à 18 portions, le nouveau n’en a que 12.

D’autres produits portant la mention nouveau sur le site Internet de la marque maison de Loblaw avaient pour leur part conservé leur format d’origine, comme des biscuits au caramel salé, des boîtes de macaroni au fromage et un sac de pain miche au blé entier.

L’emballage des biscuits mentionnait toutefois plus clairement la présence d'allergènes, alors que le dîner de macaroni comptait maintenant pour deux portions plutôt qu’une et demie. Les informations des tableaux de la valeur nutritive ont également été légèrement ajustées, mais sans changement majeur apporté aux recettes.

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