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La bataille qui a tout changé

La bataille qui a tout changé

Il y a 40 ans, la rivalité entre le Canadien de Montréal et les Nordiques de Québec culminait lors d’une mêlée générale mémorable entre les deux équipes. C’était le soir du Vendredi saint, au Forum de Montréal. Depuis, les Nordiques ont déménagé. Quant au hockey, il a beaucoup évolué. Et pour le mieux, estiment les principaux acteurs de la bataille.

Un texte de Philippe L'Heureux

Publié le 28 mars 2024

Il aurait été impossible, il y a 40 ans, d'imaginer les joueurs des Nordiques et du Canadien jouer ensemble et partager un même vestiaire, comme c’est le cas de nos jours, lors des matchs d’anciens entre les deux équipes. Lors de ces rencontres, la compétition est peut-être toujours au rendez-vous, mais la violence et les coups bas, eux, ont pris leur retraite.

C’est que bien du temps a passé depuis les grandes années de cette rivalité inscrite à jamais dans l’histoire du hockey au Québec. De nombreux événements ont marqué cette période : les séries de 1993, le but refusé d’Alain Côté en 1987 et, évidemment, la bataille du Vendredi saint.

Depuis l’arrivée des Nordiques dans la Ligue nationale de hockey (LNH), on sentait cette rivalité-là augmenter, pas à chaque match, mais à chaque période!, lance en riant l’ancien capitaine du Canadien Guy Carbonneau.

Mais les amateurs de hockey savent que c’est en séries éliminatoires que les rivalités naissent et grandissent. Pour Québec et Montréal, il aura fallu attendre trois ans après l’entrée des Nordiques dans la LNH, en 1979.

La rivalité avait débuté pour de vrai en 1982, lorsque Dale Hunter a marqué le but gagnant au Forum de Montréal en séries contre le Canadien, confirme l’ex-entraîneur des Nordiques Michel Bergeron, qui a été à la barre de l’équipe entre 1980 et 1987.

Michel Bergeron se tient derrière le banc des joueurs dans un aréna vide.
Michel Bergeron a été l'entraîneur des Nordiques de 1980 à 1987. Photo : Radio-Canada / Philippe L'Heureux

Même pour les recrues, comme le gardien Steve Penney, l’animosité était palpable non seulement entre les deux équipes, mais aussi entre les deux villes.

C’était fou : les médias, les propriétaires de chaque équipe, c'était deux brasseries compétitives, se remémore celui qui avait été choisi comme partant pour les séries éliminatoires de 1984. Les journalistes, t’avais Montréal-Québec qui était une rivalité aussi, alors tous les ingrédients étaient là!

On s’haïssait!, s’exclame pour sa part l’ancien numéro 19 des Nordiques, Alain Côté. Comme plusieurs anciens coéquipiers, il note que la rivalité existait aussi en dehors de la glace.

Y avait même des journalistes qui se promettaient des claques sur la gueule, explique-t-il en souriant. Y avait Michel [Bergeron] d’un bord et Jacques Lemaire de l’autre, deux coachs qui s’haïssaient.

S’il a bien connu cette époque particulièrement violente de la LNH, l’ancien homme fort du Tricolore Chris Nilan admet que cette rivalité revêt un caractère particulier.

« C’était provincial. C’était Québec, c’était Montréal. C’était deux équipes qui avaient des partisans passionnés et deux équipes qui, franchement, se détestaient vraiment! »

— Une citation de   Chris Nilan
Image d'archive des joueurs des Nordiques assis sur le banc des joueurs.
Chapitre 1 : La goutte qui a fait débordé le vase Photo : Radio-Canada

La goutte qui a fait déborder le vase
La goutte qui a fait déborder le vase

20 avril 1984. La rencontre s’annonce une fois de plus forte en intensité entre les jeunes Nordiques de Québec et les vétérans du Canadien de Montréal. Les fleurdelisés, qui tirent de l’arrière 2-3 dans la série de deuxième tour, font alors face à l’élimination, au Forum.

Ce soir-là, l’arbitre en chef Bruce Hood est accompagné des juges de ligne John D’Amico et Bob Hodges, deux vétérans de près de 20 saisons dans la LNH. Ils sont restés à jamais marqués par cette rencontre.

Photo en noir et blanc de monsieur Hood vêtu de son habit d'arbitre.
L'arbitre Bruce Hood lors d'un match de hockey de la LNH en 1983. Photo : La Presse canadienne

Parce que même s’il ne s’agit que du deuxième duel en séries entre les deux équipes, la soirée du Vendredi saint de 1984 restera pour plusieurs un tournant dans cette rivalité entre Québec et Montréal.

Louis Sleigher a été un acteur dès la première saison des Nordiques dans la LNH et a vu la progression de la rivalité jusqu’à cette bagarre.

C’est comme un volcan qui bout sous la terre depuis très longtemps, illustre le Gaspésien d’origine.

Aller jusqu’au Vendredi saint même, ç’a toujours bouilli sous la terre, puis l’éruption est arrivée cette soirée-là!, dit-il.

Les gants tombent

La première période se met finalement en marche et rapidement les deux équipes donnent le ton à ce qui allait suivre. Après à peine 23 secondes de jeu, une première bagarre éclate entre les attaquants Wilf Paiement et Mike Mcphee.

Paiement, de dos, agrippe Mcphee par le chandail. Ils sont corps-à-corps le long de la bande.
La bagarre entre les attaquants Wilf Paiement et Mike Mcphee Photo : Radio-Canada

D’autres échauffourées ont lieu dans les quarante premières minutes de jeu, mais sans débordements importants. C’est finalement au son de la sirène qui annonçait la fin de la deuxième période que l’historique bataille s’enclenchera.

Dale Hunter retenait mon joueur de centre, Guy Carbonneau, au sol et je m'occupais toujours de le protéger, explique Chris Nilan. Hunter le frappait au visage et lui donnait des doubles-échecs, alors mon but était de l’atteindre.

Alors que l’attroupement autour des deux joueurs grossit, Nilan se fait finalement agripper par le défenseur des fleurdelisés Randy Moller. Ils s'échangeront plusieurs coups et Moller sortira de l'affrontement avec du sang sur le visage.

Louis Sleigher se rappelle qu’il était sur la glace avec ses compagnons de trio Hunter et Michel Goulet quand il a rapidement dû s’impliquer dans la mêlée.

Le règlement le plus fou dans ce temps-là, c’est que les deux équipes embarquaient sur la glace [à la fin de la période]. Alors l’étincelle était déjà faite et la bagarre a commencé un peu partout, avance l’ancien attaquant.

« On sait où aller dans ces temps-là, quand les bagarres générales commencent, mais jamais qu’on aurait pensé que, aussi rapidement que ça en fin de période, ça allait virer au cauchemar. »

— Une citation de   Louis Sleigher

Il se retrouve rapidement au centre de l’action lorsqu’il décide de jeter les gants contre son ancien coéquipier Jean Hamel.

Pendant cinq longues minutes, les joueurs des deux équipes se battent dans la zone des Nordiques. Chandails déchirés, visages ensanglantés : rien n’arrête les belligérants... sauf un coup de poing.

Plusieurs joueurs des deux équipes s'échangent des coups devant le but des Nordiques.
Les deux équipes se sont échangé des coups pendant cinq longues minutes. Photo : Radio-Canada

Moi, ma devise a toujours été "Pour moi, pour ma personne à moi", explique Louis Sleigher. Deux contre un dans une bagarre générale, t’essaies de te débarrasser d’un joueur.

C’est ce que se dit le joueur qui est toujours aux prises avec Jean Hamel alors que le juge de ligne John D’Amico tente de les séparer. Au même moment, Mario Tremblay, qui venait de se libérer de Peter Stastny, cherche à s’interposer entre les deux joueurs. Craignant pour sa sécurité, Sleigher assène un coup de poing qui enverra Jean Hamel au sol.

« Quand je vois Mario venir m’accoter le visage dans la baie vitrée, je me suis dit : "Louis, pense à toi.'" C’est à ce moment-là que le coup est parti. »

— Une citation de   Louis Sleigher

L’incident jette une douche froide sur la glace et met un terme à la bagarre générale. Quarante ans plus tard, Louis Sleigher affirme qu’il agirait encore de la même façon s’il devait revivre le moment. Certains de ses adversaires, comme Chris Nilan, n’ont toujours pas digéré le geste.

Quand je regarde ce qui est arrivé à Jean Hamel, c’est terrible provenant d’un ancien coéquipier et ancien cochambreur. C’était vraiment cheap, ce que Louis Sleigher lui a fait, commente celui qui a cumulé 338 minutes de pénalités cette saison-là.

Un entraîneur et son assistant sont en attente des décisions des arbitres.
Entête du chapitre 2 Photo : Radio-Canada

Imbroglio autour des pénalités
Imbroglio autour des pénalités

La pause entre la deuxième et la troisième période passera aussi à l’histoire pour les mauvaises raisons. Les équipes retournent dans leur vestiaire respectif, mais un flou subsiste en ce qui a trait aux pénalités décernées.

Ç’a été mal géré par la Ligue!, s’exclame Michel Bergeron. Moi, j’attendais que les arbitres viennent me voir pis me disent les joueurs qui étaient expulsés pour pas les envoyer sur la patinoire.

L’entraîneur des Nordiques se rappelle que les dirigeants de la LNH avaient pris le contrôle du vestiaire des arbitres.

Du côté du Canadien, les joueurs tentaient de se concentrer sur la période à venir, alors qu’ils tiraient de l’arrière 1-0. Steve Penney se rappelle que des vétérans comme Larry Robinson, Bob Gainey et Mario Tremblay ne voulaient pas revenir sur la mêlée.

Le tableau de score au début de la troisième période, alors que le Canadien de Montréal tirait de l'arrière face aux Nordiques de Québec.
Le tableau de score au début de la troisième période, alors que le Canadien de Montréal tirait de l'arrière face aux Nordiques de Québec. Photo : Radio-Canada

On parlait pas de ces choses-là. Même des gars qui avaient été impliqués comme Chris Nilan, c’était le premier à dire : "On oublie tout ça, pis on a un match à gagner."

À la surprise de tous, la seule consigne que l’arbitre en chef Bruce Hood donne finalement aux deux entraîneurs est de renvoyer l’ensemble des joueurs sur la glace.

Moi, j’étais tout déshabillé, dans la douche presque, quand Michel Bergeron est rentré et m’a dit : "Tout le monde se rhabille", se remémore Louis Sleigher. Je me souviens que l’arbitre ou un juge de ligne est venu à la porte pour dire : "Toute l’équipe sur la glace. Normalement c’est une procédure qui n’arrive jamais!"

Lorsqu'on est revenus sur la patinoire, malheureusement on avait oublié d'avertir certains joueurs, pis ceux qui étaient sur la patinoire ont décidé de prendre les choses en main, affirme Guy Carbonneau.

Les hostilités reprennent

Les deux groupes de patineurs retournent donc sur la glace dans une ambiance lourde, comme la décrit Louis Sleigher.

Avez-vous pensé? Ils font rembarquer les deux équipes sur la glace après ce qui s’était passé! Tous les joueurs du Canadien, avec raison, voulaient m’arracher la tête aussi!, ajoute-t-il.

Tous attendent que les pénalités de la première bagarre générale soient départagées et annoncées dans le Forum. C’est alors que l’annonceur Claude Mouton commence à dévoiler les premières expulsions que les hostilités reprennent.

"Tel gars et tel gars, dehors!" Donc tout le monde, ç’a commencé à se dire : "Tant qu’à être dehors, je vais aller en chercher un autre!" Donc ç’a reparti, se souvient Steve Penney.

Du banc des Nordiques, Michel Bergeron regarde impuissant la bagarre générale reprendre.

« Aucun contrôle! Tu peux rien dire, les joueurs sont presque au milieu de la patinoire et c’est enclenché. Personne peut rien faire! »

— Une citation de   Michel Bergeron

Ça avait aucun sens, ce qui se passait. À un moment donné tu te dis : "Quand est-ce que ça va finir?", évoque Penney. Moi, mon idée, ma première pensée à un moment donné en début de troisième, c'était ça : "On va-tu la finir, la partie? Qu'est-ce qui arrive? Qu'est-ce qu'ils vont faire?"

Cette deuxième séquence dure finalement près de dix minutes, au terme de laquelle les joueurs sont retournés à leur banc afin de terminer la rencontre.

Montage graphique des logos des Nordiques et du Canadien juxtaposés, sur fond sombre et avec des textures de glace par-dessus.
Entête du chapitre 3 Photo : Radio-Canada

L’œil au beurre noir de la rivalité
L’œil au beurre noir de la rivalité

Une fois la troisième période lancée, le Canadien a finalement repris le contrôle du match pour l’emporter 5-3. Cette victoire mettait un terme à la série, mais aussi à la saison des Nordiques.

L’ancien gardien Penney affirme que, ce soir-là, on a appris tout ce qu’il ne fallait pas faire au hockey.

« C’est bon, des rivalités, et ça en prend dans le sport. Les partisans en veulent, les joueurs en veulent, mais à un moment donné, ç’a comme dégénéré. »

— Une citation de   Steve Penney

Alain Côté juge qu’il y a un avant et un après à cette soirée d’avril 1984.

Une bataille générale comme ça, pis y en a pas eu juste une, y en a eu deux, tout ça mis ensemble, c’était devenu trop gros, croit-il. Je pense qu’il fallait que ça descende, ç’a baissé, pis je pense qu’on a eu des meilleurs matchs après ça.

Alain Côté alors qu'il jouait pour les Nordiques de Québec.
Alain Côté alors qu'il jouait pour les Nordiques de Québec Photo : Courtoisie Alain Côté

Son ancien entraîneur-chef est du même avis, affirmant que le match du Vendredi saint a été un œil au beurre noir pour la rivalité.

Je pense qu'à un moment donné, les athlètes, les entraîneurs, tout le monde se sont dit : "Wô, c'est assez là. Faut pas que ça soit comme ça à tous les matchs Canadien-Nordiques!" La rivalité était trop belle!, explique Michel Bergeron, qui a aussi été entraîneur des Rangers de New York pendant près de deux saisons.

Celui qui portait le numéro 30 chez le Canadien, Chris Nilan, a sa propre idée sur cette rivalité. Ça n’allait jamais arrêter! Là où ça s’est vraiment terminé, c’est quand [les Nordiques] ont déménagé au Colorado, affirme Nilan.

Leçon à retenir

Quarante ans plus tard, les anciens des Nordiques et du Canadien sont bien loin de ces batailles. Périodiquement, depuis la vente des Nordiques et leur départ de la capitale, en 1995, ils se rassemblent pour participer à des rencontres amicales.

Nombreux sont ceux qui sont toujours liés de près ou de loin au hockey, que ce soit comme analystes ou spectateurs. Tous croient que les chances de revoir ce genre d’événement sont très minces.

Guy Carbonneau, qui a joué jusqu’en 2000, en plus de diriger le Tricolore entre 2006 et 2009, a vu le hockey évoluer à travers les années.

« On regarde le hockey d’aujourd’hui, qui est beaucoup différent du hockey de notre temps, mais ça prenait malheureusement des incidents comme ça pour essayer de réveiller certains dirigeants. »

— Une citation de   Guy Carbonneau

Alain Côté est du même avis, puisque moins de joueurs sont catalogués comme étant uniquement des batailleurs.

 

Chris Nilan, lui, est sans équivoque : Honnêtement, il n’y a plus de vraie rivalité! La Ligue ne veut plus voir ce genre de chose.

Les règlements ont trop évolué et, aujourd’hui, les arbitres n’attendent plus, explique Louis Sleigher. S’il arrive un événement en première période, le gars est sorti du match automatiquement.

Une guerre de francophones

Sur la rivalité entre Québec et Montréal, plusieurs croient aussi que ce serait difficile de revoir la même intensité. Michel Bergeron croit qu’il ne pourrait jamais avoir une rivalité Canadien-Nordiques comme on a connu dans le temps.

Il souligne qu’à l’époque, il y avait 14 joueurs québécois francophones d’un côté comme de l’autre.

Tout ce que ça représentait : les Nordiques appartenaient à O’Keefe, le Canadien à Molson. C’était des compagnies québécoises. Ce sera jamais comme avant!

Même si Le Tigre espère toujours voir les Nordiques revenir à Québec, impossible pour lui de revivre les émotions de l’époque.

De penser que cette rivalité-là pourrait renaître, non. Je pense qu’on va garder nos souvenirs tels qu’ils sont, conclut Bergeron en souriant.

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