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Un grand orgue montréalais en route pour la Virginie

Un grand orgue montréalais en route pour la Virginie

Publié le 29 février 2024

L’Opus 55, l’instrument le plus massif jamais construit par le facteur d’orgues de Montréal Juget-Sinclair, s’apprête à être livré à la cathédrale du Sacré-Cœur de Richmond, capitale de la Virginie. Ce rare orgue de tribune est l'œuvre d’une douzaine d’artisans, qui y ont investi quelque 40 000 heures de travail.

Lorsqu’on entre chez Juget-Sinclair, rue Mill, à Montréal, on fait rapidement une rencontre hors norme : sur notre gauche, un grand orgue si imposant qu’il occupe le tiers de l’atelier.

Après deux ans de travail, le facteur d’orgues Juget-Sinclair, une équipe d’artisans spécialisés dans la fabrication et l'entretien d'orgues mécaniques, s’affaire à démonter l’instrument pièce par pièce pour le livrer en Virginie, où il deviendra l’âme de la cathédrale du Sacré-Cœur de Richmond.

« Un orgue comme celui-ci qui sort du Québec, ça n’arrive presque jamais. »

— Une citation de   Robin Côté, président de Juget-Sinclair

L’Opus 55 est l’orgue le plus imposant à sortir de l'atelier de Juget-Sinclair. Pesant environ 15 tonnes, il est quatre fois plus gros qu’un orgue de chœur, qui sert lors des cérémonies religieuses.

Il sera utilisé pour les grandes cérémonies, les grand-messes, mais aussi les mariages, les grandes funérailles. Tous des moments importants de la vie des gens, détaille Robin Côté, lui-même organiste.

Robin est assis sur le banc devant l'orgue.

Installé à Montréal depuis 1994, Juget-Sinclair est le troisième facteur d’orgues en importance au Québec, derrière Casavant Frères et Létourneau, tous deux établis à Saint-Hyacinthe.

Le nouvel orgue, une véritable œuvre d’art empruntant le style néorenaissance de son lieu d’accueil, est le deuxième instrument d’une commande de trois que l’auguste cathédrale du Sacré-Cœur de Richmond a passée au facteur.

Le premier instrument, un orgue de chœur, a été livré l’an dernier. Le travail sur le troisième instrument, un petit orgue d’accompagnement aussi appelé orgue coffre, en est déjà au tiers de sa construction.

Un grand orgue dans un atelier, à côté de travailleurs.
Environ 96 % des tuyaux de l'Opus 55 ont été produits à Montréal. Les 4 % restant, qui correspondent aux plus gros tuyaux, ont été moulés en Europe.  Photo : Radio-Canada / Philippe-Antoine Saulnier

Recevoir une commande pour un orgue de tribune neuf comme l’Opus 55 et deux autres instruments – un contrat qui atteint quelques millions de dollars –, ça n’arrive pas tous les jours.

Cette commande est attribuable à une réputation bâtie depuis près de 30 ans, d’abord par le duo Denis Juget et Stephen Sinclair et ensuite par tous les gens qui sont passés par l’atelier, insiste Robin Côté.

Car un orgue n’est pas l'œuvre d’une seule personne, c’est l'œuvre d’une équipe où chacun a ses connaissances et se surpasse dans celles-ci, dit-il.

« L’orgue est une œuvre totale. [...] On est comme des peintres, et les clients nous choisissent selon nos tableaux précédents, sans avoir vu le nouveau. »

— Une citation de   Robin Côté, président de Juget-Sinclair

Celui-ci s’inclut dans l’équation. Il a intégré l’équipe du facteur il y a 22 ans et est passé par toutes les spécialités, de la conception à l’harmonisation, en passant par la tuyauterie et l’ébénisterie… jusqu’à devenir actionnaire et président de Juget-Sinclair.

Fabriquer un orgue ne s’apprend pas à l’école, du moins, pas en Amérique du Nord. C’est un savoir-faire qui se transmet de maître à apprenti depuis l’Antiquité, souligne M. Côté.

Les frères Casavant, qui ont commencé au 19e siècle, ont appris avec Louis Mitchell, un Canadien français qui, lui, a appris avec Samuel Russell Warren, qui venait des États-Unis. Et lui, il a appris d’un facteur en Angleterre, relate Robin Côté. On a des connaissances qui se transmettent depuis des centaines d’années, et moi, je les transmets aux autres.

L’orgue est le seul instrument qui requiert des compétences en ébénisterie, en métallurgie, en mécanique, en ingénierie, en forgerie et en architecture, pour n'en nommer que quelques-unes. Savoir jouer n’est pas essentiel, mais ça aide énormément, souligne-t-il.

Le son des orgues Juget-Sinclair est bien montréalais, mais emprunte aux traditions allemande, française et nord-américaine.

Ça crée une sonorité unique, créée par nos oreilles, notre goût. C’est ce qui fait que les orgues de chaque compagnie ne sonnent pas de la même façon, décrit M. Côté.

L'Opus 55 en quelques notes

Et une signature bien locale s’y trouve : les boutons de registre, aussi appelés jeux, qui permettent de sélectionner le son du hautbois, de la trompette ou de 65 autres instruments, sont identifiés en français.

Parce qu’on est des Montréalais, Québécois, et nous, on travaille en français. [...] Personne ne s’en est plaint, même qu’ils aiment ça, lance-t-il.

Comment fonctionne un orgue mécanique?

Lorsqu’on appuie sur une touche, celle-ci actionne un levier qui fait bouger un fil en fibre de carbone, attaché à des équerres, des balanciers et d’autres leviers. Ceux-ci ouvrent une soupape qui laisse entrer de l’air dans les tuyaux.

L’électricité n’est utilisée que pour actionner le ventilateur de l’orgue, et pas pour jouer. L’orgue n’a pas besoin d’électricité pour produire des sons. C’est le vent qui produit des sons, dit Robin Côté.

Deux employés discutent, penchés sur une surface de travail. Derrière eux, on voit l'immense façade de l'orgue bâti par la compagnie.

Un « instrument public »

La relève est bien présente à l’atelier Juget-Sinclair, où plus d’une dizaine d’employés – tous des hommes, à l’heure actuelle – mettent la main à la pâte.

Mais elle l’est beaucoup moins chez les interprètes, d’après Robin Côté, qui s’en inquiète.

Jouer de l’orgue est très complexe, souligne-t-il pour expliquer la situation, et la musique est de moins en moins enseignée – M. Côté parle de parent pauvre en éducation.

Mais le coup de massue est d’après lui venu pendant la Révolution tranquille, qui a profondément changé la relation des Québécois et des Québécoises avec l'Église catholique. C’est difficile de dissocier l’orgue de l’Église. C’est un instrument tellement imbriqué dans la liturgie, fait valoir Robin Côté.

La désertion des églises a eu toutes sortes de conséquences, comme réduire l’accessibilité à de tels instruments et rendre leur préservation plus ardue.

L’orgue est joué dans de grands moments, pour célébrer des événements. C’est une fierté civique qui appartient au public, insiste-t-il. Lorsque je voulais pratiquer, plus jeune, on me donnait les clés, et j’avais un accès quasi illimité à l’instrument. Aujourd’hui, c’est plus compliqué.

Juget-Sinclair a souvent été appelé à restaurer ou réparer des orgues mécaniques – sa spécialité – dans des églises, grâce à une subvention du Conseil du patrimoine religieux, qui paie jusqu’à 70 % de la facture.

C’est déjà arrivé qu’on retourne quelques années plus tard et l’église avait coupé le chauffage, faute de moyens. C’était tout moisi. Tout notre travail a été gâché, ou presque, se désole-t-il.

« On ne peut pas toutes les garder, les églises, c’est évident. Les orgues, c’est pareil. La situation est précaire. »

— Une citation de   Robin Côté, président de Juget-Sinclair

Pourtant, Montréal offre une belle vitrine pour l’orgue avec, entre autres, le Concours international d’orgue du Canada et l’orgue Pierre-Béique, signé Casavant, de l’Orchestre symphonique de Montréal.

L’orgue est un instrument qui a environ 2400 ans d’histoire – il est plus vieux que Jésus Christ – et pour lequel on a de la musique écrite depuis plus de 600 ans. [...] Le violon n’arrive pas à la cheville du répertoire d’orgue, assure Robin Côté.

Robin Côté regarde l'orgue depuis une mezzanine dans son atelier.

La population américaine est encore très croyante et très pratiquante. Les rites de passage sont célébrés avec l’orgue, qui fait partie intégrante de ces moments, fait-il remarquer.

L’Opus 55 de Juget-Sinclair a donc un bel avenir devant lui.

L’équipe prévoit mettre de quatre à six semaines à désassembler et envelopper soigneusement chaque pièce de l’instrument, tantôt dans des draps, tantôt dans des boîtes remplies de paille, une solution plus écologique que la styromousse, souligne Robin Côté. Le tout remplira deux semi-remorques, selon ses estimations.

Une fois l’instrument arrivé à destination, un mois d’assemblage sera nécessaire, suivi de trois mois d’ajustements afin de l’accorder et de l’harmoniser à l’église.

L’Opus 55 de Juget-Sinclair en chiffres

  • 67 jeux
  • 4332 tuyaux
  • 3 claviers
  • 15 tonnes
  • 40 000 heures de travail
  • 12 personnes
Un croquis d'orgue dans une cathédrale.
La cathédrale du Sacré-Cœur de Richmond a été érigée en 1905, et s'étend sur plus de 7000 mètres carrés.  Photo : Juget-Sinclair

Avec la collaboration de Philippe-Antoine Saulnier

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