•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Vous naviguez sur le site Radio-Canada

Début du contenu principal

René Lévesque, le journaliste pédagogue

René Lévesque, le journaliste pédagogue

L’année 2022 marque le centième anniversaire de la naissance de René Lévesque. Né le 24 août 1922, l’ancien premier ministre du Québec a commencé sa carrière comme journaliste correspondant. Sa capacité hors du commun à expliquer à son auditoire les dossiers les plus complexes a fait de lui un maître de la vulgarisation. Nos photos d’archives reviennent sur son admirable parcours journalistique.

TEXTE : SOPHIE CARON | RECHERCHE D'ARCHIVES PHOTOS : SYLVIE COURNOYER | PHOTOGRAPHES : HENRI PAUL, ANDRÉ LE COZ, CHETWYND FILMS LTD

Publié le 7 juillet 2022

Dès les années 1930, René Lévesque travaille à la radio de New Carlisle, en Gaspésie, où il fait la rédaction et la lecture de nouvelles. Parfaitement bilingue, il aspire dans les années 1940 à devenir correspondant de guerre. L’équipe de correspondants de Radio-Canada étant déjà complète, c’est au sein de l'Office of War Information des États-Unis qu’il fait ses premiers pas à titre de journaliste.

Attaché au groupe du général Patch et à la 7e Armée américaine, il assiste en 1945 à la libération du camp de Dachau. Un événement qui le marque à tout jamais. Dans ses mémoires Attendez que je me rappelle... publiées chez Québec Amérique en 1985, il décrit l’horreur des camps :

« la foule indescriptible se précipita sur nous. À la fois tirés à hue et à dia par des mains d’une maigreur effrayante au bout de poignets devenus translucides, nous étions là, ahuris, contemplant ces fantômes en pyjamas rayés qui sortaient en titubant des baraques. »

À son retour d’Europe, René Lévesque est affecté au Service international de Radio-Canada. Il participe avec d’autres collègues à l’émission radiophonique La revue de l’actualité.

C'est lors de la guerre de Corée en 1951 que le talent de communicateur de René Lévesque se révèle au public canadien. Il y sera affecté durant six mois.

En compagnie du correspondant Norman McBain, de Montréal, et de l'opérateur Norman W. Eaves, de Halifax, il informe les auditeurs des actions et des faits d’armes de la brigade canadienne qui, au sein de l'armée des Nations unies, combat les troupes communistes soutenues par la Chine.

Le correspondant plonge son auditoire au cœur du quotidien des militaires. Un dimanche en Corée avec le 22e régiment devient un reportage phare de la correspondance de guerre. Lévesque et son équipe y captent, dans une tente, les propos des soldats en proie au mal du pays.

À partir de l’hiver 1956, Radio-Canada présente Les aventures de Max Fuks. La série de 13 épisodes suit les péripéties d’un jeune aventurier. Assis sur le sol en compagnie du jeune voyageur, René Lévesque le questionne sur ses périples en Afrique du Nord et en Amérique du Sud.

Le journaliste possède cette force de paraître aussi à l’aise en s’entretenant avec les quidams de la rue qu'en rencontrant les plus célèbres dirigeants.

Quelques mois plus tôt, en novembre 1955, René Lévesque est appelé à se rendre en Union soviétique pour couvrir la visite de la délégation canadienne chapeautée par Lester B. Pearson. Il réussit un tour de force journalistique en obtenant une entrevue exclusive avec Nikita Khrouchtchev.

L’émission Point de mire est à l’antenne de 1956 à 1959. Diffusée d’abord le dimanche soir à 23 h 15 pendant 30 minutes, sa case horaire change à 22 h 30, puis à 22 h. Devant l’enthousiasme du public, Point de mire ne tarde pas à se retrouver à heure de grande écoute le lundi soir, à 21 h 30.

Point de mire revêt un caractère éducatif. L'animateur renseigne chaque lundi les téléspectateurs sur un point chaud de l'actualité politique nationale ou internationale : crise de Suez, guerre d’Algérie, situation au Moyen-Orient, relations canado-américaines, etc.

Chaque semaine, René Lévesque consacre des dizaines heures de préparation à son émission. Enfermé à la bibliothèque, il consulte une multitude de sources d’information et d’ouvrages de référence : des journaux, des almanachs, des dictionnaires.

Même si l'émission ne dure que 30 minutes, l'animateur a du matériel pour couvrir 3 heures. L’ampleur de son travail de recherche est magnifiquement rendue par cette capacité unique de René Lévesque à synthétiser l’information et à la rendre digeste pour son auditoire.

Avec sa voix éraillée reconnaissable entre toutes, René Lévesque s'adresse directement aux téléspectateurs : Si vous le voulez bien, nous allons ensemble tenter de comprendre, faisons ensemble l’état de la situation. En employant cette méthode de communication, l’animateur invite son public à réfléchir avec lui.

Faire confiance à l’intelligence de l’auditoire et créer une proximité avec celui-ci, tel est le style direct et franc de René Lévesque. La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal ne tarde pas à le récompenser en lui décernant en 1957 son prix de journalisme pour la qualité de l’émission.

À Point de mire, René Lévesque se sert de tableaux, de cartes géographiques et de sa baguette de professeur pour expliquer le plus simplement du monde les sujets les plus complexes.

L’animateur sort également du studio pour consulter les acteurs de l’événement. Notre photo nous le montre à Orléans, en France, accompagné du technicien Julien Dupras. Le 1er octobre 1958, René Lévesque fait le point sur la nouvelle Constitution française mise de l'avant par le général de Gaulle, votée par référendum le 28 septembre 1958.

Dans cette émission, il s'entretient avec le maire d'une petite ville de campagne sur les résultats du vote en faveur du général de Gaulle. Il présente également un vox populi sur le référendum avec des Orléanais et des Parisiens d'un quartier populaire.

L’émission Carrefour est présentée à la radio du 5 octobre 1953 au 27 novembre 1954, puis à la télévision du 7 novembre 1955 jusqu'en septembre 1958.

À la radio comme à la télévision, l’équipe est composée de  René Lévesque, Judith Jasmin et Jean Ducharme. Les trois journalistes abordent les sujets d’intérêt public avec l’humanité, la curiosité intellectuelle et souvent le brin d’humour qui les caractérisent.

Le 14 février 1958, l’actrice italienne Gina Lollobrigida visite Montréal. La diva est reçue à l’hôtel de ville de Montréal par le maire Sarto Fournier et un bal est même organisé en son honneur. L’émission Carrefour ne manque pas l’occasion de la recevoir dans son studio.

Bien avant de devenir politicien, René Lévesque connaît les coulisses d’une soirée électorale. Le soir du 31 mars 1958, en compagnie du journaliste André Laurendeau, il commente les résultats du scrutin des élections fédérales à la télévision.

Huit annonceurs ont pour tâche de lire au fur et à mesure les résultats dès leur arrivée par téléscripteur. Henri Bergeron, Jean-Paul Nolet, Wilfrid Lemoine, René Lecavalier, Jean Ducharme, Miville Couture, Gaétan Montreuil et Pierre Paquette sont assignés à ce travail.

Les auditeurs de la radio du réseau français entendent les allocutions des quatre chefs de parti un peu avant les téléspectateurs. Ce soir-là, c’est le chef du Parti progressiste-conservateur, John Diefenbaker, qui prononce le discours de la victoire.

À compter du 6 janvier 1958, René Lévesque relève un nouveau défi en participant à l’émission matinale radiophonique Au lendemain de la veille.

Pour animer ces trois heures de musique légère, de chroniques et d'informations diverses, Radio-Canada choisit également des personnalités connues du public telles que Miville Couture, Hélène Baillargeon, Jacques Languirand, René Lecavalier, Rhéal Gaudet et l'annonceur Raymond Charrette.

René Lévesque y présente une entrevue et une revue de l'actualité. Signe de l’époque, à mesure que s'écoulent les deux heures de l'émission, le ton change et s'adapte à l'auditoire plus particulier des ménagères restées à la maison après le départ de leur mari et des enfants.

Du 23 juillet 1959 au 1er mai 1960 est diffusée le dimanche soir la série Premier plan. L’émission est animée tour à tour par Judith Jasmin, Wilfrid Lemoine et René Lévesque. Une émission d’envergure où des personnalités de marque sont invitées.

René Lévesque s'entretient (sur notre photo) avec Han Suyin, médecin et auteure de plusieurs romans dont, La pluie pour ma soif et La montagne est jeune. Suyin explique comment elle concilie sa culture occidentale et sa culture orientale. Elle parle des causes et des conséquences de la révolution communiste chinoise, de la politique du gouvernement et du climat social de la Chine.

Durant l’hiver 1958-1959, les réalisateurs de Radio-Canada déclenchent une grève pour faire accepter le principe de leur Association-unité syndicale. Point de mire est retirée des ondes.

Le diffuseur public présente des films en boucle au réseau français pendant que les réalisateurs et leurs alliés font du piquetage devant l'édifice de Radio-Canada. L’ours noir de l’émission éducative La vie qui bat devient la mascotte des grévistes.

Après 68 jours de grève dans l’indifférence générale du Canada anglais et du premier ministre fédéral John Diefenbaker, le conflit prend une tournure politique. René Lévesque est arrêté par la police de Montréal avec d’autres vedettes comme le comédien Jean Duceppe et l'auteur-compositeur-interprète Georges Dor.

« J’exagère peut-être les faits. Mais je n’exagère pas l’impact que ça a eu sur nous. Ça a donné comme une sorte d’impression de déchirement. Ah bon! On ne compte pas plus que ça. Bon, ben, tirons-en une leçon. »

La grève des réalisateurs sera un événement catalyseur de la Révolution tranquille et n’est pas étrangère à l’entrée en politique de Lévesque dès l'année suivante.

Partager la page